• Carnet de tournage (2)

     

    Le tournage de  « La nuit du grand paon » m'aura permis de découvrir quelques aspects peu connus de cette espèce aux mœurs   plutôt discrètes.
    Voici quelques unes des observations qui m’ont parues les plus remarquables.
    Présentons l’animal :
    Nom scientifique: saturnia pyri
    Envergure de 12 à 15 cm.   L’insecte n’usurpe donc pas son titre de plus grand papillon d’Europe. Le nom de paon de nuit vient des motifs qui ornent ses ailes et curieusement semblables aux yeux que l’on peut observer sur les plumes de l’oiseau  d’Héra.

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    Le nom latin laisse supposer que  l’espèce se développe sur le poirier. De fait, les chenilles se nourrissent de feuilles d’essences diverses parmi lesquelles des arbres fruitiers et le frêne. Ce dernier représente un aliment idéal pour nourrir les chenilles en élevage.

    Mâle, femelle, qui est qui ?
    Chez cette espèce existe un dimorphisme sexuel : comment distinguer  les deux sexes ?  Même taille, mêmes motifs sur les ailes. Aïe, pas gagné. Heureusement, deux détails facilement repérables: l’abdomen gonflé de la femelle et surtout les antennes. Les mâles sont bien empanachés avec de larges antennes pennées, les femelles n’étant pourvues que de fins filaments.

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    Les mœurs
    Pour ce qui concerne les mœurs  de notre lépidoptère, pas grand chose à dire. Sinon, que l’animal, apathique durant le jour, devient extrêmement actif la nuit tombée, en particulier les mâles que je libère rapidement avant qu’ils ne se rognent totalement les ailes sur les grillages de la cage d’élevage. C’est un papillon des grands espaces qui ne supporte pas beaucoup la captivité.
    Les femelles, plus tranquilles, alourdies par un ventre rempli d’œufs   se contente d’exhiber une glande d’appel qui diffuse une phéromone pour attirer les mâles. Les antennes des messieurs portent des milliers de capteurs de phéromones. La sensibilité est extrême puisque quelques molécules du discret parfum suffisent à attirer  les mâles à plusieurs kilomètres de distance.
    Cependant, et c’est intéressant, la phéromone qui affole les mâles dans le milieu naturel semble sans effet, ou presque, sur les mâles d’élevage. Je n’ai pas d’hypothèse pour expliquer ce fait. Peut-être simplement le traumatisme de la captivité…
    L’élevage des femelles n’est pas problématique: la nature n’a pas prévu que ces papillons se nourrissent. Ils ont huit à dix jours pour se reproduire, vivant durant ce temps sur leurs réserves. Je reste étonné et admiratif devant la vitalité exceptionnelle de cette espèce. Les chrysalides peuvent attendre deux à trois ans avant l’émergence. Les adultes qui apparaissent n’en sont pas pour autant diminués. Ce sont toujours de robustes individus qui apparaissent alors. Cette année une femelle a battu un record de longévité : elle a vécu 28 jours, la moyenne de vie étant de 10 jours…    Néanmoins, il y a deux ans, un accouplement m’a permis de récolter quelques œufs  et de compléter les observations commencées en 2011.

     

    Le développement larvaire.
    La femelle fécondée pond 100 à 300 œufs dont la taille ne laisse guère deviner celle des papillons qu’ils donneront. Chaque œuf, légèrement oblong, mesure 2 à 3 mm.

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    Les œufs  libèrent des chenilles fin mai. Des chenilles d’à peine 4 ou 5 mm. Le maxi papillon donne donc naissance à des mini – chenilles. Celles-ci ont une robe sombre ornée de boutons orange. Leur premier souci est de s’éloigner au plus vite de leur lieu de naissance. Je m’attendais à voir des petits affamés dévorant la nourriture et j’ai observé des chenilles exploratrices partant d’emblée à la conquête du monde, parcourant encore et encore la cage où elles se trouvaient cherchant désespérément une sortie. De fait, elles ne commencent à se calmer et se nourrir que deux ou trois jours après leur naissance. Mes premières inquiétudes sur leur survie  se sont vite dissipées en constatant dans les jours et les semaines suivantes une croissance accélérée. Elles subissent quatre mues larvaires. Au cours des deux premiers stades, le corps est noir orné de boutons oranges.

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    Au stade 3, les chenilles sont vert clair et portent des boutons jaune vif.
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    Au stade 4, elles deviennent vertes avec des boutons violets.

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    Enfin au stade 5, les chenilles toujours vertes, présentent des boutons bleu porcelaine.

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    Entre temps leur taille est passée de 5 mm à 10-12 cm !
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    Arrivées à maturité, les chenilles de stade V prennent une coloration orange. Leur comportement se modifie : elles, si apathiques d’ordinaire, se mettent à voyager sans relâche. Ce comportement est assez habituel, en fait, des chenilles proches de la mue nymphale chez de nombreuses espèces.

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    Finalement, notre chenille choisit un endroit qu’elle juge favorable et tisse un cocon dans lequel elle restera enfermée jusqu’à l’émergence.

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    Pour les besoins du film, j’avais besoin d’ouvrir quelques cocons dans le but de saisir la mue nymphale.  Des contraintes familiales m’empêchent alors de le faire et c’est plus de huit jours après la confection des cocons, début août, que je peux, enfin,  voir ce qu’il se passe dans cet écrin de soie rêche.

    Je suis convaincu que la nymphose est réalisée et qu’il faudra attendre un an pour observer cette dernière mue larvaire.
    Surprise ! Quand j’ouvre le premier cocon, la chenille n’est pas nymphosée. Elle est redevenue verte. Deux autres cocons ouverts révèlent des animaux qui n’ont pas l’air en forme. La peau est brunie, les soies recroquevillées, abîmées. Que s’est-il donc passé ?

    Ce n’est que le lendemain que je trouve réponse à ma question en découvrant dans la cage une première chrysalide. Je comprends soudain mieux ce qu’il se passe : l’apparence si pitoyable de mes chenilles était tout simplement due à la mue nymphale que je peux filmer le soir même.

    Dès 20 heures, le corps de l’une de mes protégées est animé de mouvements d’avant en arrière, pour provoquer le décollement de la vieille cuticule, comme lors des mues observées dans les mois précédents. La vieille peau cédera vers 23 heures, mais la sortie de la nymphe sera rendue plus difficile d’une part par l’étroitesse de l’étui dans lequel elle est enfermée et d’autre part par le fait qu’elle ne dispose plus d’aucun appendice pour s’aider dans cette tâche.   Il ne lui faudra pas moins de trente minutes pour se dégager entièrement de sa  peau usée. Le délicat et tendre revêtement jaune vert  de la nymphe va durcir et brunir en 24 heures.

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    La chrysalide s’est immobilisée dans cette curieuse apparence de sarcophage égyptien. Pour se transformer en papillon elle attendra le mois d’avril suivant … ou plus.    

    J’ai récupéré en 2014 dix papillons entrés en nymphose  deux ans auparavant et un spécimen sorti tardivement (fin mai vraisemblablement).  Encore une particularité étonnante de ce grand paon : être capable de survivre deux ans (voire trois selon certains observateurs)  dans un cocon avant de se métamorphoser.

    L’émergence
    L’émergence se réalise en général de la dernière semaine  d’avril à la première quinzaine de mai.  En 2014 j’ai enregistré un second record avec une femelle apparue le 11 avril et un troisième avec l’émergence d’un mâle sorti tellement  tard que j’ai raté sa date de sortie : abandonné dans le « studio » de tournage, je me suis aperçu de son émergence le 22 juin.

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    J’ai pu, finalement, saisir l’émergence de trois grands paons,  2 mâles et une femelle, dans la dernière semaine d’avril 2014.  Tous les trois sont sortis de leur cocon vers midi et quart. Belle régularité. J’ai raté une quatrième émergence, celle d’un mâle qui a eu l’idée saugrenue de sortir le matin vers 9 heures ! En fait, il semble bien, tout de même, que les imagos émergent plutôt en début d’après-midi.

     

    L’aventure grand paon de nuit est donc terminée. C’est avec un petit pincement de cœur que je passe régulièrement près de mes cages définitivement vides. Il reste tout de même un film de 33 minutes "La nuit du grand paon" et plus de trente heures de rushes... 

     

        P.P.  D'après un article paru sur le "blogadupdup" 

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