• Jean-Louis Dubois

    Ami et compagnon de route, Jean-Louis, disparu le 7 décembre 2014,  était passionné d'ornithologie. Instituteur puis éco-interprète cet amateur de nature, amoureux du loup,  s'était mis à écrire des textes naturalistes où il exprimait la joie de ses observations.

         En feuilletant un de mes livres préférés, "Les rapaces" de Paul Géroudet, j'ai retrouvé, soigneusement plié entre deux pages, le texte d'une chanson qu'il avait composée à l'époque du tournage des "Faucons de la Baume" (1979-1981). Une page tirée avec un stencil à alcool, le seul moyen de reproduction bon marché de l'époque. Grosse bouffée de nostalgie à la lecture de ce petit opus que je vous livre ici.

      

     Ornithomanie (Dis moi l'oiseau)                                  

    Jean-Louis Dubois      

     O dis moi l'oiseauJean-Louis Dubois

    Dis-moi l'oiseau!

    Dis-moi l'oiseau

    Sur la falaise,

    Dis-moi son cri

    Dans le matin,

    Ses ailes: rocher et glaise

    Pour encore combien de printemps ?

     O dis moi l'oiseau     

    Jean-Louis Dubois

     

     

    O dis moi le vent entre ses ailes,

    Entre ces ailes magiques

    Dis moi des poumons d'ivresse

    Qui n'ont cesse de vitesse

    Pour encore combien de printemps?

    O dis moi le vent.

     

    O dis moi des hommes aux yeux de ciel

    Dis moi des hommes de sapin

    Qui vivent pour l'oiseau gris,

    Le jour où s'envolera 

    Encore un printemps prochain

    O dis moi des hommes. 

     

    O dis moi le soir, dis moi la nuit,               Les faucons de la Baume

    Dis moi une nuit sous la pluie,

    Avec l'oiseau je m'en irai…

    La vie peut couler ses printemps,

    Tant que l'aile déchire le vent

     

    Il ne fera pas noir...

     

     

     

    Jean-Louis DuboisJean-Louis Dubois

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Texte envoyé par Jean-Louis le 4 janvier 2014 dans son mail de bonne année

     

    Le loup est de retour !

    Région de Vesoul (Haute-Saône - France), mercredi 13 novembre 2013, peu avant six heures du matin.

    Jean-Louis Dubois

    Ma nuit ayant été un peu écourtée par une insomnie, je sors dans le jardin comme il m'arrive souvent de le faire. J'y ai même deux bonnes places dédiées à mes moments d'écoute, d'observation et de contemplation : deux vieux fauteuils de jardin. Pour les beaux jours, l'un est situé sous un vieux genévrier, dans l'enchevêtrement des ramilles de charme, de troène et d'érable champêtre d'une haie mitoyenne. Pour les jours de mauvais temps, l'autre se trouve sous l'auvent de l'abri à bois dans l'ambiance de bonnes odeurs de sève et de tannin. Depuis mes fauteuils, que ma compagne Suzy appelle également "mes grottes" (mais elles sont ouvertes sur le monde !), j'observe et j'écoute, selon mes envies et ma disponibilité, la vie diurne ou nocturne du jardin, de mon village de Dampierre-sur-Linotte et de ses environs. À deux cents mètres, au centre du bourg, le clocher scande les heures et égrène régulièrement les quarts d'heures de sérénité ou de patience qui se cumulent, enrichissant ma connaissance du milieu local... 

    Une effraie chuinte en survolant le jardin ; la silhouette fantomatique de la Dame blanche s'éloigne dans l'obscurité ; une chouette hulule au loin vers le Grand bois. En cette fin de nuit humide, légèrement brumeuse, tout est assez calme. À cette heure matinale, il n'y a guère de circulation. À trois cents mètres vers ma gauche, ronronne la machine à traire de la ferme laitière. Et l'on entend, au hasard, de temps à autres, le mugissement d'une vache, le souffle de la pompe à chaleur de la maison qui tourne derrière moi, ou les ronflements plus ou moins discrets des brûleurs des chaudières du voisinage qui démarrent ou s'éteignent. Soudain, à quelques centaines de mètres, vers le nord, un hurlement mélodieux fuse dans la campagne, aussitôt soutenu par trois ou quatre autres "A-oh" et "Hou" caractéristiques. La beauté et la perfection des harmoniques me prennent aux tripes. Aucun chien ne crie de cette façon : le loup est de retour ! 

    J'en suis évidemment tout retourné. Je me régale à écouter ce choeur particulier mais un peu inquiétant donner de la voix durant un court moment. Et à la fin du morceau, au lieu d'applaudir, je me précipite vers la maison pour annoncer à Suzy cette émouvante nouvelle: "- Le loup est de retour ! Je viens d'en entendre hurler un petit groupe, peut-être quatre ou cinq. À l'oreille, ils semblaient se trouver à quelques centaines de mètres des maisons du quartier ! Si tu savais comme c'est beau ! C'est encore plus beau que sur le CD Quand chantent les loups de Fernand Deroussen ! Je te le ferai écouter !" Mal réveillée, Suzy m'accueille un peu fraîchement : 

         "- T'as fumé la moquette, ou quoi ? 

           - Non, non je t'assure (ce n'est pas mon genre !). Je suis bien réveillé, il n'y a aucun doute ! Je ne te parle pas d'éléphants roses ; je connais la voix du loup : je suis tout à fait sûr d'avoir entendu, très distinctement, des LOUPS !..."

    Dans la journée, avec beaucoup d'enthousiasme, j'échange sur l'événement avec deux de mes meilleurs amis, naturalistes chevronnés. Nous nous rappelons que les loups qui avaient été massacrés ou empoisonnés jusqu'au dernier dans les années 1930 sont revenus en France, depuis l'Italie, en 1992, via le Parc national du Mercantour, dans les Alpes maritimes. Depuis, une nouvelle population s'est développée. Elle s'est répandue à travers le massif alpin, puis a atteint l'Est de la France au cours des dernières années. Et, alors que la présence de loups est désormais attestée dans tous les départements qui entourent la Haute-Saône (le nôtre), alors qu'un individu s'est fait remarquer l'an passé du côté de Lure, au pied des Vosges saônoises, comment expliquerait-on que l'espèce ne soit pas présente dans les environs de Vesoul ? Nous imaginons que notre département étant peu densément peuplé d'humains et couvert à 42% de forêts giboyeuses, la présence du prédateur pourrait y être moins dérangeante, donc moins repérable. 

    Les jours suivants s'écoulent presque normalement. Je ressors tout de même de ma bibliothèque, l'excellent livre de Gérard Ménatory La vie des loups publié en 1990, pour me remettre en mémoire les écrits d'un expert. Avec Suzy nous échangeons également sur un livre trouvé sur une aire d'autoroute pendant nos dernières vacances (!) Un homme parmi les loups de Shaun Ellis. L'ouvrage est qui ressorti récemment en livre de poche, nous a beaucoup plu et instruit. Désormais, nous savons bien, tous les deux, que le loup craint l'homme et qu'il ne mange ni les grands-mères, ni les petits chaperons rouges. Nous savons aussi que le domaine d'une meute est très étendu. L'espèce reste rare, aussi pensons-nous que nous n'entendrons plus de si tôt le chant des loups. 

    Erreur ! Trois journées plus tard, le vendredi 15 novembre au soir, je boude la fin du journal télévisé (le sport médiatique !) et je sors au jardin vers 20h15 pour admirer la première petite chute de neige. Il en est tombé quelques centimètres et les flocons virevoltent encore dans la pénombre, animés par les lumières du village : c'est la magie de l'hiver qui approche ! Soudain, le choeur des loups me fait sursauter en entonnant une plainte mélancolique qui sonorise parfaitement le paysage nocturne enneigé - La petite Sibérie de nos fantasmes ! Que c'est beau ! Que c'est beau ! Et palpitant !

    Jeudi 21 novembre 2013 - Message de Jean-Louis à Pierre et Bernard :

    « Bonsoir aux amateurs de loups !

    J'ai encore entendu au moins deux animaux se répondre, ce soir. Dans la nature, c'est donc ma troisième fois ! Par conséquent, même si l'on sait que son territoire peut être très étendu, la petite meute locale semble particulièrement se plaire dans les parages, pour l'instant.

    Sorti prendre l'air après de bulletin météo, vers 21 heures, je m'installe sous l'abri à bois, avec la chatte Gypsie dans les pieds. La configuration est la suivante : notre jardin, à l'arrière de la maison mesure modestement, en gros, 25 mètres sur 30 ; il donne sur une petite rue bordée d'une seule rangée de maison. Au delà, c'est la campagne, avec haies et bosquets de vieux conifères, vergers, prés et cultures. La lisière la plus proche du "Grand bois" (600 hectares d'un seul tenant) est à moins d'un kilomètre. Le tout est assez giboyeux : lièvres, biches et cerfs, chevreuils et sangliers...

    Ce soir, un chant plus aigu (celui de la louve ?) semblait vraiment très proche des habitations : je dirais moins de 300 mètres ! En stéréo, un dialogue poignant s'établit avec un autre chant plus grave (celui du mâle ?), provenant de beaucoup plus loin, vers la forêt. La neige de la mi-novembre a fondu. Celle qui tombe ce soir ne tient pas au sol et l'atmosphère noire et humide est vraiment peu engageante... J'avoue, qu'à demi grelottant dans mon fauteuil de jardin, la grande proximité de l'un des chanteurs m'a fortement impressionné. Au bout d'un quart d'heure, tout frémissant, j'ai laissé les loups poursuivre leurs vocalises sans moi, pour retourner au chaud, sans oublier de récupérer mon chat, au cas ou cette louve ait une petite faim pendant la nuit !

    Bonne nuit quand même, les amis !

    Ne rêvez pas trop à la Mère-grand du Petit chaperon rouge...

    Amicalement. JLD »

    ...

    Mais mon histoire préférée reste celle du Loup de Gubbio : au Moyen-âge, en Italie, à l'époque où François d'Assise vivait dans la ville de Gubbio, un loup redoutable apparut dans la campagne environnante. Ce loup terrorisait tous les habitants de Gubbio. Plus aucun habitant n'osait sortir de la ville sans être armé. Bientôt, personne n'osait s'aventurer hors des remparts... Pour venir en aide aux habitants de la cité, Saint François décida d'aller à la rencontre du loup. Les habitants, qui avaient d'abord essayé de le retenir, suivaient François en nombre pour assister au spectacle. Lorsque le loup le vit s'aventurer hors de la ville, le fauve s'approcha en courant, prêt à l'attaquer. À ce moment, Saint François fit le signe de croix et dit au loup "Viens ici, frère loup ; je te commande de la part du Christ de ne faire de mal ni à moi ni à personne." D'un seul coup (miracle !) ce loup, que tout le monde craignait, se calma. Il s'approcha tranquillement de François et s'allongea à ses pieds... Pour sceller cette paix, les habitants de Gubbio s'engagèrent à nourrir le loup...

    Hé oui, comme à tous les petits Français, la famille, la religion et l'École nous ont transmis cette curieuse culture commune sur le loup, peut-être pavée de bonnes intentions. La bête serait, tour à tour méchante, imbécile ou cruelle ! Sans compter le cours de latin, finalement plus proche de la réalité : Homo homini lupus est ! Disaient les Romains. Eux vénéraient la louve qui avait protégé et nourri les fondateurs de leur cité, Romulus et Remus. En effet, les évocations précédentes sont essentiellement légendes et contes symboliques ou moralisateurs. L'Histoire montre bien que c'est l'homme qui est un loup pour l'homme. Le loup, le vrai, a peu à voir avec sa propre réputation ! Les "mangeurs d'hommes" ont surtout nettoyé les gibets, les mouroirs et les champs de batailles ! À qui la faute ? Les attaques attestées sur des humains en bonne santé sont certainement à imputer à des animaux malades de la rage, maladie aujourd'hui éradiquée d'Europe.

    À propos du loup RÉEL, d'une part, les sciences, notamment celle des comportements, décrivent un animal sociable et extrêmement intelligent, qui joue un rôle remarquable dans nos écosystèmes. Super prédateur, le loup régule et assainit les populations de ses proies : cervidés et sangliers, chamois et mouflons, renards et campagnols, mais aussi quelques moutons... Là où il y a des loups, on peut considérer que la nature a retrouvé son super prédateur ancestral. La biodiversité, tellement mise à mal au cours du dernier siècle, y gagnerait. Pourtant, il reste ce problème de bétail dévoré occasionnellement. Dans un pays où galèrent neuf millions de chômeurs et de travailleurs pauvres et où l'on subventionne en milliards une agriculture prétendument raisonnée et qui reste globalement très polluante, ne peut-on rien faire pour vivre avec les loups en créant quelques emplois ?

    D'autre part, la génétique moderne nous confirme que le loup est l'ancêtre commun à toutes les races du Chien, le meilleur ami de l'homme ! Ainsi au fil des millénaires, depuis environ 5 000 ans, nos ancêtres et nous avons sélectionné, à partir des qualités du Loup, celle que nous apprécions chez nos compagnons canins. Border Collies ou Teckels, Dobermans, Griffons, Épagneuls ou Bichons frisés sont, somme toute, des loups quelque peu dégénérés, fidèles, prêt à défendre ou à aider leur maître ou leur clan humain. Comme j'aime y penser !

    Pour finir, cette question du "retour du loup" est finalement bien mal posée ! Ceci présente l'inconvénient de faire apparaître cette fameuse question comme une régression aux yeux de beaucoup de personnes, un retour vers un passé primitif, désuet ou sauvage. Il n'en est rien ! En effet, les loups "français" des années 1930 ont bel et bien disparu avec leurs détails génétiques propres... Nos "nouveaux loups", colonisant l'Est de la France, sont bien actuels et ils proviennent de la souche italienne qui se propage dans les écosystèmes du présent. Ces écosystèmes sont eux-mêmes bien différents de ce qu'ils étaient il y a un siècle. Ainsi, le "retour du Loup" n'est pas véritablement un retour. Cette expression n'est bonne qu'à vendre du journal et à faire frissonner dans les chaumières ! Comme toutes les histoires, l'histoire évolutive va constamment de l'avant : nous assistons en réalité d'une nouvelle proposition de l'Évolution dans la recherche permanente d'un équilibre entre les espèces. Autrement dit : le loup actuel, d'origine italienne, ne se propagerait pas en France s'il n'y trouvait pas une petite place pour lui. Laissons-lui donc cette place en considérant tout ce que l'espèce a rendu, rend et rendra de services au sein du Vivant, et à l'humanité, depuis la préhistoire ! Pourquoi ne parle-t-on jamais du bénéfice qu'apporte la présence de loups, par exemple dans la limitation et l'assainissement des populations du grand gibier qui génèrent tant de dégâts sur les cultures et les forêts ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de son intérêt dans l'élimination des chiens et chats errants, ou encore dans la régulation du renard, animaux prédateurs de gibier et de nombreuses petites espèces protégées ?

    11 décembre 2013 : le journal local annonce que deux jeunes bovins ont été tués récemment par un prédateur indéterminé, sur la commune voisine de Fontenois-lès- Montbozon. Peu après, le jeudi 19, deux apparitions hypothétiques du Loup sont signalées dans des secteurs voisins du département du Doubs : une observation avec photographie à Belfays, et deux moutons attaqués à Clerval. Force est de constater que les autorités bottent en touche, suivies par la presse, faute de preuves validées officiellement. À qui profite la langue de bois ? Va-t-on comme ailleurs - et hypocritement - autoriser le tir des chiens errants ? Il n'y en a guère dans les environs ! Dans les conditions nouvelles de la modernité, en contrôlant si nécessaire ses populations, saura-t-on réapprendre à vivre avec le Loup ?

    Jean-Louis Dubois

    Dampierre-sur-Linotte, décembre 2013 

     

    « Araignées chasseresses »
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